MUSÉE SURSOCK
Inauguré le 25 novembre dernier, le 32e Salon d'automne du musée Sursock, qui se tient jusqu'au 27 février, annoncera ses prix ce soir*. Après avoir précédemment présenté, dans ces mêmes colonnes, l'événement, « L'Orient-Le Jour » a sélectionné,
parmi la cinquantaine d'œuvres exposées, ses pièces favorites et dressé son top 7. Son choix coïncidera-t-il avec celui des membres du jury ou celui du public ? Affaire à suivre dans l'édition de demain. Photo Anne Ilcinkas
1- « Élévation », de Hannibal Srouji
Amoureux du bleu ou pas, amoureux du feu ou pas, la longitudinale toile de Hannibal Srouji dégage une séduction à large échelle à laquelle peu de visiteurs résistent. Cette toute dernière œuvre de la série Terre/Mer de cet artiste, qu'il n'est plus nécessaire de présenter, parle aux sens et à la sensibilité du spectateur. Réalisée par un processus de cumulation de couches de peinture, de brûlures, de marquages et de grattages, il en émane, sous l'apparente sérénité de sa couleur dominante une intensité très wagnérienne. Quelque chose d'embrasé, de tourmenté et d'euphorique tout à la fois, qui monte crescendo dans un mouvement ascendant vers un horizon plus ouvert... D'où le titre Élévation. « J'ai mis 2 ans à terminer cette pièce. Le temps qu'elle mûrisse et qu'elle exprime parfaitement mon ressenti d'artiste et de citoyen dans un pays qui bouillonne à petit feu en attendant une hypothétique solution : l'apaisement, enfin, ou l'émigration définitive... » confie ce peintre dont toute l'œuvre traite de ses/nos éternels départs et retours.
2- « 40 jours de deuil », de Marwan Moujaes
Toujours sur le mode d'une expression artistique incandescente, l'installation vidéo HD de Marwan Moujaes. Ce jeune artiste libanais de 27 ans est installé à Paris où, fraîchement diplômé en création et plasticités contemporaines de la Sorbonne, il poursuit son travail essentiellement basé sur une relecture de « l'histoire sacrificielle de notre monde contemporain ».
Images empruntées à la Nasa et montrant l'activité solaire depuis le 21 août 2013 à 3h15 – heure supposée des premiers décès suite au bombardement chimique de la Ghouta en Syrie, qui fit entre 322 et 1 729 morts – jusqu' au 3 octobre 2013 à 3h15, sa vidéo intitulée 40 jours de deuil fait référence à cette période postmort avant que l'âme ne quitte le monde matériel. Projetée sur écran géant et abritée dans une niche sombre, cette fascinante image en mouvement d'un globe terrestre sombre et embrasé, tel un soleil noir, confronte le spectateur à son attirance pour le tragique. Ce fatal destin des hommes qui régit le monde depuis la nuit des temps ...
3- « Le 26 février 2015 », de Abed al-Kadiri
Tirée d'une série baptisée al-Maqâmât et inspirée d'un recueil de contes et d'illustrations de l'époque abbasside, la toile de Abed al-Kadiri, artiste trentenaire à la double formation en beaux-arts et belles lettres arabes, dégage une présence indéniable. Dans un grand format (200 x140 cm), mixant fusain et huile, et superposant des « silhouettes noires et daechiennes » très IIIe millénaire avec des scènes et personnages colorés du XIIIe siècle bagdadien, cette composition met l'accent sur la régression culturelle du Moyen-Orient. Et cela autant grâce au sujet qu'à la technique utilisée par ce jeune talent qui revisite d'un trait, délibérément grossi et appuyé, l'art si raffiné de l'enluminure orientale. La toile est d'ailleurs intitulée Le 26 février 2015, « en référence au jour où a eu lieu la destruction, par les barbares qui se réclament de l'État islamique, du musée national de Mossoul ». Abed al-Kadiri inscrit toujours son travail visuel dans une thématique civilisationnelle, revendicatrice des droits humains et dénonciatrice de toute forme de violence : guerre, torture dans les prisons, situation des migrants...
4- « Threshold » (Seuil) de Abir el-Moukaddam
Discret et épuré, ce dessin au crayon sur carton (102x72 cm) portraiturant un jeune garçon étendu, comme suspendu, au haut d'une p(l)age blanche, signé Abir el-Moukaddam, est tellement éthéré qu'il ne capte pas immédiatement l'attention. Ce n'est qu'au deuxième tour de l'exposition qu'il accroche le regard... Par ce mélange de concision et de précision, de poésie et de réalisme, de classicisme et de modernité qui le caractérise. « Il fait partie d'une série de 12 compositions, intitulée Liminality, représentant des figures flottantes et comme figées dans un espace temps interstitiel, au seuil d'un avenir inconnu ». La jeune artiste, fraîchement titulaire d'un master en arts visuels de l'Alba, a choisi de privilégier le dessin, « la probité de l'art », pour traiter « du processus de désorientation. Une situation qui m'intéresse beaucoup et à laquelle tout le monde peu s'identifier ».
5- « Untraceable » de Balsam Abo-Zour
Un indéniable sens de la composition et une touche d'une virtuose et fougueuse habilité font de cette huile sur toile signée Balsam Abo-Zour l'une des œuvres parmi les plus intéressantes de cette sélection. On y devine un corps de femme, un crâne d'animal, un sabot de bête ou, encore, des viscères se mélangeant à de la terre, de l'herbe... Étonnamment, cette peinture, sombrement surréaliste et d'un expressionnisme puissant, accroche le regard sans le révulser. Et pourtant, elle représente, de manière symbolique, la dissolution qui nous guette tous. Elle exprime le sentiment de finitude qui habite cette artiste de 35 ans, originaire de la Békaa-Est et qui cache sous une attitude enjouée et désinvolte une sorte de spleen, de désespoir ardent qui irrigue son travail. « Rien ne reste. Le corps humain se désagrège dans la nature, au point d'en devenir un élément. Et il ne reste plus aucune trace de l'être qui l'a habité. Le désir d'immortalité de l'être humain butte inexorablement sur son inéluctable effacement. Et toute ma peinture ne parle que de cela. »
6- Raouché vue par Alia Noueihed Nohra
En techniques mixtes (collage, peinture, sérigraphie), Alia Noueihed Nohra dresse une ode aux rochers de Raouché. « L'idée m'en est venue à la suite de la polémique de Dalieh. » L'artiste multimédias s'est ainsi remise à observer ces rochers liés à ses souvenirs d'enfance d'un œil nouveau. Délicate, poétique, un brin mystérieuse, l'œuvre qu'elle présente au Salon d'automne déroule 5 vues de différents angles de ce site iconique, élément symbolique du paysage libanais. La force de cette pièce, de prime abord anodine, est qu'elle s'adresse à la mémoire collective des visiteurs et fait surgir dans leurs esprits des associations inattendues avec des images et des lieux personnels ou emblématiques...
7- « Beyond & Ascension » de Nevine Boueiz
Entre la maîtrise et l'inventivité de Samar Mogharbel et de Nathalie Khayat (toutes deux présentes au Salon), retenir le travail d'une nouvelle venue dans l'univers de la céramique peut surprendre. On pourrait lier cela à la chance du débutant. Sauf que dans le cadre de cette exposition, les deux pièces en grès façonnées à la main de Nevine Boueiz, peintre de formation, passée récemment à la poterie, séduisent indéniablement. Baptisées Beyond & Ascension, leurs volumes élancés, à la texture partiellement glaçurée, dégagent en effet une note d'élévation, de clarté sereine et apaisante.